Aujourd’hui nous sommes allés à la rencontre de Guillaume Perocheau, enseignant-chercheur et responsable du laboratoire RASSCAS à l’ISEN Méditerranée.
Bonjour Guillaume, peux-tu nous présenter rapidement ton parcours ?
Je suis docteur en sciences humaines et sociales. J’ai fait une thèse en 2009. J’ai eu une vie avant mon cursus universitaire puisque j’ai été pendant plus de 10 ans consultant dans l’informatique et dans les systèmes d’information. Peu à peu, j’ai bifurqué parce que je me sentais à l’aise dans le monde de la réflexion, de la recherche. Ça me plaisait donc j’ai mené une thèse sur les processus collectifs d’innovation. J’ai ensuite intégré l’ISEN.
Tu peux nous parler un peu plus de tes sujets de recherche ?
Au début c’était sur les processus d’innovation. Et puis peu à peu je me suis rendu compte que souvent l’innovation n’était pas forcément au service du progrès humain et environnemental. C’était souvent un peu gadget. Je ne voulais pas que mon travail soit au service de choses qui soient mauvaises pour nous.
En parallèle, je me suis mis à lire la littérature scientifique dans le domaine de la climatologie. Je me suis rendu compte que c’était ça qui était intéressant et donc aujourd’hui, je travaille toujours sur l’innovation, les processus de changement, mais dans le cadre de l’anthropocène.
Est-ce que tu peux nous rappeler à quoi correspond l’anthropocène ?
C’est l’ère de l’homme, l’ère géologique dans lequel l’activité humaine est la principale force de transformation.
D’ailleurs, ça fait partie du nom de notre laboratoire : Recherche Appliquée en Sciences Sociales pour Concevoir une Anthropocène Soutenable (RASSCAS).
Est-ce que tu peux revenir sur ce qu’est un laboratoire ?
Dans une école d’ingénieurs, un labo c’est une unité qui regroupe plusieurs enseignants-chercheurs autour d’un thème de recherche. L’idée est de pousser la réflexion autour d’un sujet plus profondément, sur un champ disciplinaire en particulier.
Le chercheur se met à la limite de ce qu’on sait, de l’état de l’art de son domaine. Puis il va proposer une exploration, un protocole et tester des hypothèses. Une fois que le travail est validé par des pairs, il fait partie de l’état de l’art. C’est ça qui fait avancer la recherche.
Certains laboratoires nécessitent beaucoup de matériel. En sciences humaines c’est moins le cas. On peut avoir besoin d’un labo pour faire de l’observation de comportements. Par exemple avec une vitre sans tain. Mais nous en l’occurrence, on pratique surtout de l’ethnographie. C’est à dire qu’on va sur le terrain, on parle avec les gens, on les observe, on prend des notes. Finalement notre labo c’est dehors, chez les gens, on va dans des entreprises, on participe à des projets, on observe ce qu’ils font, on leur pose des questions, on fait des interviews. Le seul matériel dont on peut avoir besoin il est là : un micro, un ordinateur, du papier, un crayon.
Quelle est l’idée centrale du laboratoire RASSCAS ?
On s’intéresse à comment concevoir des objets technologiques et des systèmes techniques qui seraient compatibles avec l’anthropocène et qui, surtout, permettrait d’envisager un anthropocène soutenable et heureux. On travaille sur 3 axes :
L’axe 1, c’est imaginaire et anthropocène.
Nous sommes arrivés à la conclusion en lisant la littérature que l’imaginaire de notre futur influence énormément nos comportements d’aujourd’hui.
Pour l’instant, nos imaginaires, ce sont les imaginaires d’avant. On a les mêmes imaginaires qu’il y a 20 ans. C’est à dire que l’avenir c’est soit une dystopie, un effondrement, un Mad Max, soit les robots vont nous sauver, on va aller sur Mars façon Elon Musk et on va mettre une puce dans le cerveau pour mieux réfléchir. Donc on est coincé entre le techno solutionnisme et le futurisme dément.
Et il n’y a plus d’utopie. Peu de gens proposent des futurs souhaitables.
Notre objectif c’est de fabriquer des utopies. Sur cet axe on a une chaire avec le Domaine du Rayol et le Conservatoire du Littoral.
L’axe 2, ce sont les technologies de l’espace sûr et juste.
On se base sur la Théorie du Donut. La croissance ne peut être infinie. La terre est un espace fluide. Avec les fameuses limites planétaires (issues des travaux du Stockholm Resilience Centre) qu’on ne devrait pas trop dépasser si on souhaite conserver le bon fonctionnement et l’intégrité du système.
Donc il y a des plafonds à ne pas dépasser. Mais on peut dire aussi qu’il y a des planchers sociaux à ne pas franchir non plus. C’est à dire que s’il y a une moitié de la population qui n’a pas accès à l’eau ou si la plupart des gens ne peuvent pas exprimer leur voix, ce sont les planchers sociaux qui ne sont pas respectés. Et donc entre le plafond planétaire et les planchers sociaux, il y a un espace qui ressemble à un donut (voir ci-dessous).
C’est l’idéal et ça, c’est l’espace sûr et juste de Kate Raworth. Cette notion, elle est dans la raison d’être de l’ISEN : Révéler, former et inspirer pour un monde sûr et juste.
Donc le deuxième axe du laboratoire RASSCAS, c’est comment faire pour que quand tu conçois une technique, une techno ou un objet technologique, on puisse intégrer en amont les contraintes environnementales et sociales.
L’axe 3, c’est le design centré sur le vivant.
Il y a un courant de pensée, dont je faisais partie, qui disait que pour créer un système technique, il fallait demander aux utilisateurs ce qu’ils voulaient. Et donc on a mis en place tout un tas de méthodes qui consistaient à rentrer en empathie avec les utilisateurs, les humains et de faire ce qu’on appelle du « Human Centered design ». Donc c’était l’idée, faire du design centré sur les êtres humains et leurs vrais besoins. Et puis peu à peu, j’ai réalisé qu’il y avait l’anthropocène. Je me suis dit que quelque part c’était une bêtise de faire ça.
Il faut qu’on dépasse ce paradigme. Parce que le paradigme du design centré humain, il est limitant et peut-être qu’il est même péjoratif au bout du compte.
Ce serait génial si on pouvait intégrer dans les considérations quand on fait un design, les besoins de tous les vivants, les humains et les non-humains, les écosystèmes en particulier.
Analyser un écosystème, c’est s’obliger à avoir une vision systémique, plus empathique, parce qu’on prend en compte toute la complexité du milieu.
Comment se matérialise aujourd’hui votre chaire de recherche avec le Domaine du Rayol ?
Le 28 et 29 mars, on va au Rayol avec 10 auteurs et on va écrire un livre sur des imaginaires de l’anthropocène. Donc on va écrire 10 histoires. On va faire un recueil de nouvelles sur le thème « Il était une fois en 2040 ». Donc l’idée, c’est de fabriquer des utopies qui présentent des manières durables, désirables et faisables de vivre. Un futur qui ne soit ni une dystopie ni un futurisme débile à base de technologie de partout.
On voudrait refaire le même séminaire tous les ans par exemple et d’avoir une espèce de boîte à imaginaire de l’anthropocène. Et l’idée c’est de mettre au point aussi une méthode pour écrire des scénarii désirables et souhaitables.
D’autres actualités concernant des projets en cours ?
On a un projet avec le pôle de compétitivité SAFE. Ils ont mandaté le laboratoire pour mettre place une méthode qui permettra à l’avenir de mieux orienter les projets qui viennent vers eux. Pour qu’ils soient justement dans le donut. L’idée, c’est que les projets qui sont validés par le pôle SAFE doivent avoir une très forte compatibilité sociale et écologique. Et comme la plupart des personnes n’ont pas encore cette culture, ils ont besoin d’une méthode pour les aider, et nous, on est en train de créer cette méthode.
Nous participons également au projet européen Interconnect.
Nous avons des échantillons d’utilisateurs dans plusieurs pays qui testent des nouvelles solutions pour optimiser l’utilisation et la consommation de nos appareils électriques. A travers des questionnaires, on essaie de comprendre ce qui fait qu’ils acceptent ou pas un nouveau système.
L’enjeu du projet tourne autour de ce qu’on appelle les « Smart Grids » (réseau électrique intelligent).
On reproche souvent aux énergies renouvelables qu’elles soient intermittentes, c’est à dire que la nuit quand il n’y a pas de vent, il n’y a pas d’énergie. Et en Occident, à partir du moment où nous sommes sortis des énergies renouvelables avec le pétrole on a pris l’habitude de faire coller la production d’énergie à notre demande. Mais maintenant il faudrait peut-être apprendre à faire un peu le contraire, c’est à dire à faire coller en partie notre demande d’électricité en fonction de la disponibilité de la ressource. Comme ce n’est pas facile, l’idée est de déléguer nos usages à un système technique. Avec ces technologies, quand tu mets ta machine à laver en partant elle ne va pas démarrer au moment où tu as appuyé sur le bouton mais au moment le plus opportun au niveau énergétique.
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